La PRECIOSITE du XVII° à travers les oeuvres de Molière

Introduction

De l'origine de la préciosité

    Les courant de pensées

    Situation politique

    Affaiblissement du pouvoir royal

Le regard de Molière

    Les revendications précieuses

    Le rôle de Molière

    L'honnête homme

    La place de la femme dans la société

                              •Amour et mariage

                              •La préciosité

Conclusion

Bibliographie

Notes

 
Introduction

     De tout temps l'Homme a recherché l'équilibre, même encore aujourd'hui, dans divers domaines variants selon les moments et les époques. C'est dans sa nature : lorsqu'il trouve l'équilibre dans un domaine, c'est ailleurs qu'il va le rechercher de nouveau. Equilibre entre sa vie et ses passions, ses désirs, ses goûts ; équilibre entre la religion et ses propres croyances ; entre la politique et ses idées, sa pensée ; Ou alors, équilibre dans l'art, dans le beau, dans le bien...

     Le  XVII e siècle n'échappe pas à cette règle, au contraire, c'est dans tous les domaines à la fois que l'homme cherche cet ordre. Il veut un renouveau, une nouvelle identité. Ainsi, à force de recherches, d'essais, le siècle de Molière voit apparaître peu à peu ce que Voltaire au siècle suivant appellera le  « classicisme » et qui se défini comme le ‘'juste milieu''. En effet, au XVI e s. l'anarchie règne partout ; C'est pourquoi le XVII e, en réponse, cherche à supprimer cette anarchie en élaborant un équilibre -qui ne durera pas- appuyé à ses débuts par la forte personnalité du cardinal de Richelieu. Celui-ci voulant contrôler l'esprit pour imposer la monarchie absolue, préparant ainsi la gloire du roi soleil, prit sous sa direction, aux apparences de protection, un groupe d'une quarantaine d'écrivains chargé d'épurer la langue, de contrôler sa forme ainsi que les dialectes régionaux en excluant son usage populaire. Il créa par-là l'Académie française. Aussi, manifestement observé dans l'art -surtout dans la peinture- le classicisme veut en fait mettre en évidence ‘'l'honnête homme'' (et la langue épurée de l'Académie s'adresse elle-même à l'usage des honnêtes hommes). Et pour cela toutes les réformes possibles ont été faites jusqu'à la réforme de la façon de se tenir, des bonnes manières.

     Ce phénomène fût international, toutes les cours de l'Europe subirent ce joug de la politesse. Celui-là partît de France, de certaines femmes cultivées de l'aristocratie à la fin du règne de Henri IV, et plus exactement dans l'entourage de la Grande Mademoiselle[1], qui cherchèrent à créer un idéal mondain, une ‘'classe'' cultivant les bonnes mœurs, rejetant la trivialité et la vulgarité ; bref, un ‘'culte''  réservé à une société raffinée (pas pour le peuple), le travail des académiciens y aidant par l'exclusion de tout élément populaire dans l'élaboration du dictionnaire académique. Ainsi, ce mouvement pris de l'ampleur au point de traverser les frontières, car si l'aristocratie voulait ‘'purifier'' les mœurs et la langue, la haute bourgeoisie, elle, vit par ce biais un moyen de se détacher davantage du petit peuple et de se rapprocher de la haute société. L'extension fût relativement rapide par l'intermédiaire principalement de la classe aristocratique soutenue par quelques poètes et auteurs qui trouvaient dans cette réforme un moyen d'aborder un mécénat d'une autre catégorie ainsi qu'une forme nouvelle de langage inspirée de la poésie. C'est par-là que c'est développée la « Préciosité ».

     Ce mouvement était à ses débuts d'une motivation positive. Mais peu à peu le désir de l'Homme de toujours faire plus a poussé jusqu'à l'extrême ce phénomène (en créant à l'instar de l'Académie un dictionnaire des précieuses, par exemple) au point d'en devenir ridicule et d'inspirer à Molière déjà en 1659 une comédie qu'il a intitulée explicitement « Les Précieuses Ridicules ». Cependant le ‘'caricaturiste'' -car il montre en grossissant et en ridiculisant les défauts de la société de son époque- ne s'en est pas tenu qu'à une seule pièce ; « L'Ecole des Femmes », par exemple  ou « Le Bourgeois Gentilhomme » reflètent assez bien la préciosité décadente. De même, dans de nombreuses autres comédies, l'auteur ne manque pas de lancer quelques flèches, par des dialogues ou même des monologues contre ce déraillement. En effet, tout le monde sait que sous les apparences du ridicule, de la comédie finement élaborée, Molière ne cesse de critiquer les débordements de son siècle ce qui lui value parfois la censure directe du roi lui imposant de modifier certains passage, en cela « Le Tartuffe » en est un exemple typique.

     C'est alors une vision intéressante des choses que de regarder les mœurs du XVIIe siècle et en particulier la préciosité (qui est, nous l'avons dit, le mouvement dominant du classicisme) à travers l'œil moqueur que Molière pose sur les excès et les exubérances de ses contemporains.


De l'origine de la Préciosité

     Il est difficile de saisir avec exactitude les raisons de ce mouvement précieux. Les historiens situent sa gloire entre 1650 et 1660. D'après A. Adam qui se réfère à des documents de l'époque[2], « la Préciosité est née très exactement en 1654. »[3] Le mouvement de noble intention fut donc de courte durée. En effet, on peut parler de deux tendances ou plutôt d'une ascension suivie d'une décadence prématurée. Après, en effet, ce n'est qu'une pâle imitation, une copie caricatural de ce qu'étaient les premiers précieux et précieuses du temps de Mlle de Scudéry et de l'abbé de Pure. Celle-là favorisa le développement de la préciosité par ses salons du samedi. Et celui-ci écrivit plusieurs volumes sur le sujet donnant de nombreux renseignements sur les préoccupations des cercles précieux, leurs discussions, les revendications féministes etc....[4] En effet, si le mouvement est parti de femmes d'esprit, c'est parce qu'elles considéraient que la condition en ce temps de la femme était intolérable.

           Les courants de pensées 

     Si on regarde uniquement l'aspect langagier des précieux on pourrait penser que la préciosité n'était en fait qu'une réaction opposée au libéralisme des libertins apparu en ce même siècle vers les années 20. C'est possible ! Mais ce serait oublier l'origine de ce mouvement inspirée par une révolte de femmes qui en avaient assez de rester dans l'ombre et dont la préoccupation essentielle était les problèmes de la vie sentimentale. Il semble plutôt que ce fut le fruit de la soif naturelle de l'homme (et surtout de la femme) qui se voyait sortir peu à peu de l'époque « barbare » qu'était le Moyen-Age. Notons que la précieuse dans ses maximes[5] disait être d'un gouvernement paisible et dans ce sens voulait « détourner toutes les divisions et toutes les guerres. »[6]

           Situation politique

     En effet, au XVIe  siècle, bien qu'un gros effort ait été fait pour sortir de la « barbarie » et que les historiens ont appelé la première renaissance [7], l'anarchie régnait encore de partout à cause, entre autre, des guerres de religions qui ne cesseront qu'à  l‘intronisation d'Henri de Navarre au trône de France en 1593, et par la ratification en 1598 par ce nouveau roi de l' édit de Nantes [8]. Dans cette paix nationale qui dura presque tout le siècle suivant, de nombreux efforts furent encore fait pour sortir de cette anarchie. Après la mort de Malherbe[9] les gens se réunissent pour discuter (la plupart sont des écrivains, philosophes, penseurs). Peu à peu, divers sujets pénètrent ces cercles de discussions comme des sujets philosophiques, la poésie etc.... Cependant, le cardinal Richelieu, Premier ministre de Louis XIII, voulant contrôler l'esprit national afin de renforcer le pouvoir royal et d'établir la monarchie absolue, propose sa protection à ces groupes d'écrivains. Seule condition : qu'il ait total contrôle sur leurs travaux. Ils deviennent alors SON groupe. Il fonde ainsi, en 1635, la société des écrivains comprenant quarante membres et connue aujourd'hui encore comme l'Académie française. 

            Affaiblissement du pouvoir royal

            Il faut souligner que le pouvoir royal, à cette époque, avait un gros problème d'autorité. En effet, les mouvements de sensibilité et d'idées qui se manifestaient en ce début de siècle, baroque, libertinage, jansénisme, héliocentrisme amplifiaient la diversité, l'irrégularité, le désordre et donnaient des raisons aux opposants à la monarchie absolue[10]. Chacun, à sa manière, faisait apparaître la folie des grandeurs, le refus de servir... Bref ! pour eux, le souverain bien est de se faire adorer, aimer redouter, haïr ; On laisse tomber les vertus en faveur de l'égocentrisme. Or, pour le Cardinal Richelieu « L'ordre de l'Etat exige une certaine uniformité des conduites. » Le but du Premier ministre était donc d'unir toute la France, dans tous les domaines, en commençant par les penseurs, littéraires, écrivains etc. sous une seule autorité apparente : le roi. Apparente car de nombreux groupes étaient sous celle du cardinal.

     Il faut comprendre que nombre de ces mouvements (libertinage, jansénisme...) cherchaient à démolir l'image du héros, image sur laquelle jusqu'à cette époque s'appuyait la monarchie absolue. Toutes les idées qui circulaient s'opposaient indirectement au gouvernement. Elles prônaient l'obéissance à la loi intérieure propre à chacun, enseignaient qu'il fallait apprendre à « jouir de soi »[11] ou alors, elles opposaient à l'autorité extérieure les commandements de la conscience[12]. Tout ceci continuait à déstabiliser le gouvernement et à affaiblir le royaume déjà faible à la suite des guerres de religions du siècle précédent.

     Toutefois ces courants d'idées n'étaient pas limités à la France seulement, mais on pouvait les trouver dans toutes les cours des royaumes  d'Europe. Tout n'était donc que trouble, agitation, chaos. L'Europe semblait aller à l'anarchie. Une différence pourtant qu'il est nécessaire de signaler est que dans toute l'Europe le mouvement littéraire et artistique est plutôt tendance baroque ; seulement en France, nous trouvons le mouvement appelé classicisme, le baroque ayant son succès dans l'hexagone dans les années 1570-1630. Ce dernier étant une libération en littérature, comme en art, il était synonyme de désordre. On comprend alors pourquoi, le but du gouvernement de Richelieu étant l'ordre, un mouvement presque opposé au baroque a vu le jour : le « classicisme », le classique pour s'opposer à l'ex-travagance ; On met des règles pour éviter les débordements. 


Le Regard de Molière

          Les revendications précieuses    

On voit donc combien est difficile à définir la préciosité. Les historiens eux-mêmes ne sont pas d'accord : certains la voient comme l'apogée d'une civilisation[13], d'autres, plus nombreux, la critique comme étant un ‘'clan'' de snobes bavardes, prudes[14] et oisives à l'esprit agile jouant à un jeu inutile et sans cause[15].

Cependant, ils s'accordent tous sur certains critères des précieuses. En leur temps, un écrivain les a décrit comme suit : Elles ne se sont pas contentées de régner « sur les habits et sur quelques bagatelles », elles ont eu la main mise « sur le langage, sur les mœurs et même sur les choses les plus spirituelles. » Ces choses spirituelles dont parle l'auteur sont, en vérité, ce qui concerne l'amour. En effet, la première revendication précieuse touche ce qui concerne le sentimental [16]. Ce n'est que plus tard que les précieuses se sont occupées du langage. Dans ces deux directives de la préciosité se trouve le reste, c'est à dire les mœurs, les habits, les salons qu'on appelait ‘'ruelles '' etc....

            Le rôle de Molière

     Dans cette perspective il n'est pas inutile d'étudier le regard d'un contempo-rain aussi clairvoyant que ne l'était Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, sur ce phénomène qui marqua toute la seconde moitié du XVII e siècle [17] et dont on parle encore péjorativement aujourd'hui.

     Il faut bien comprendre, en abordant Molière, que ses œuvres ont un but critique et non pas tant caricatural (dans le sens négatif du terme) comme on l'a souvent dit. En effet, le célèbre auteur de comédies, à l'époque de l'âge d'or du théâtre, voulait critiquer les excès  et les défauts de la société. Rien n'était épargné ; La noblesse, la bourgeoisie, le clergé comme les caractères d'avarice, de vanité, d'orgueil ainsi que les profils d'hypocondriaques, de charlatans, de dandys, de pique-assiette ; Il critique aussi bien les pseudos auteurs que la populace ignorante. Et, bien évidemment, le mouvement précieux n'échappe pas à la règle.

Au contraire, dans pratiquement toutes ses œuvres on peut trouver une flèche, un dialogue, une tirade, un développement voir même la pièce entière sur le phéno-mène décadent. En effet, Sur la préciosité Molière ne veut, en fait, non pas ridiculiser les vrais précieux, mais ceux qui croient l'être et ne le sont point. Il le dit lui-même dans la préface qu'il a rédigée pour la publication de sa pièce « les précieuses ridicules »[18] : « Les plus excellentes choses sont sujettes à être copiées par de mauvais singes [...] aussi les véritables précieuses auraient tort de se piquer, lorsqu'on joue les ridicules qui les imitent mal. » Cela est clair aussi dans la mise en place des personnages de cette même pièce : deux jeunes provinciales fraîchement arrivées à Paris se vantent de vouloir faire de l'esprit sur ce qu'elles ne connaissent pas ; Elles scandalisent deux prétendants par leur attitude envers eux, inspirée par leurs idées sur les "préliminaires" au mariage[19]. Comme si cette première pièce qui eut pourtant beaucoup de succès à sa parution ne suffit pas il en écrivit vers la fin de sa vie une autre plus virulente : « Les femmes savantes. »[20]D'autres pièces montrent plus ou moins le ridicule de ceux qui veulent devenir spirituels comme « le bourgeois gentilhomme ». Quant à « la critique de l'école des femmes », c'est plus pour montrer les divergences d'opinions au sein même des cercles précieux afin de défendre sa pièce que de critiquer, au sens premier du terme, les précieux[21], qu'il a écrit cette pièce.

             L'honnête homme

Pour comprendre le regard de Molière sur la préciosité telle qu'il la présente dans ses œuvres il est nécessaire de saisir ce qu'est l'honnête homme.

L'honnête homme, au XVIIe s., est l'homme idéal. On comprend aisément pourquoi les précieuses en ont fait le centre de leurs idylles. En effet, Molière nous le dépeint clairement à travers plusieurs personnages[22] : c'est un homme d'une belle taille, apte à tous les exercices de guerre comme de plaisir ; Il est bon chasseur, adroit aux jeux physiques ; Il connaît à la fois le prix des considérations sérieuses et des bagatelles bien dites ; Mais il est cependant timide et modeste ; Il fuit les querelles et les bouffonneries ; Evite de jouer le prédicateur moraliste et assomment, et essaie de ne pas attirer l'attention des autres sur lui ; Il n'élève jamais la voix pour prendre avantage sur ceux qui ne parlent pas aussi fort ; Il est doué dans les art es lettre et connaît ce qu'il faut connaître tout en étant humble face aux docteurs et savants... On pourrait continuer longuement la liste des qualités de l'honnête homme que nous décrit Molière. Retenons seulement que l'honnêteté est synonyme de prudence, honneur, foi, droiture, discrétion et intégrité.

On comprend alors que cette image de l'homme parfait que les précieuses véhiculaient dans leur esprit a poussé nombre d'homme à être ainsi, tombant souvent dans le ridicule[23], ou à ridiculiser ceux ou celles qui porte cette image (utopique) comme étendard[24]. Toutefois, quand on connaît les revendications féministes des précieuses en ce qui concerne le mariage, on comprend qu'elles aient mis haute la barre.

             La place de la femme dans la société

Il est vrai que, malgré le rôle important que la femme ait joué au cours du siècle, son influence directe sur l'évolution des mœurs, des goûts et de la mode, sa participation à l'élaboration de cabales au cours de la Fronde[25], la place de la femme n'était guère favorable et enviable. Son rôle dans la société était même méprisé, comme le souligne Molière dans son « Dom Juan ». Considérée comme une existence inférieure, sa vie était ainsi dirigée par son père, son mari ou ses frères. Ce qui comptait chez une femme était sa beauté extérieure et sa capacité à enfanter[26], et non pas son monde intime[27]. De l'autre côté chez les femmes ce qui pesait le plus était leur honneur : Elles préféraient mourir que de se déshonorer[28]. Souvent elles restaient au couvent jusqu'au mariage (c'était la mode), obligées par leur père. Mais la plupart d'entre elles n'avaient pas conscience de leur situation misérable, et donc ne réagissaient pas. La satire qu'a fait Molière à l'égard de ces femmes naïves et soumises ne visait pas la dépréciation de celles-ci, mais au contraire, celle des mœurs et du système social qui donnait tout pouvoir à l'homme, et jetait l'opprobre sur les ‘'Dom Juan''. Dans ses comédies, à l'instar des idées du temps, il loue continuelle-ment la femme intelligente, qui a du jugement, qui sait ordonner sa maison, vive, dynamique et qui a une grande présence d'esprit qu'elle soit de noble condition, bourgeoise ou servante montrant ainsi que l'esprit n'est pas réservé à la noblesse.

                     Amour et mariage

De même, les thèmes de l'amour et du mariage sont bien apparents dans les œuvres de Molière. Pour lui, le mariage est une chose sainte et sacrée qui apporte aux hommes la joie et non le renoncement[29]. Cependant, au XVII e siècle, les gens faisaient des mariages de convenance qui visaient à leur propre gain plus qu'à la satisfaction affective et sensuelle, spirituelle et culturelle de leurs enfants qui sont les personnages principaux de leur théâtre. Molière veut dénoncer cette attitude, c'est pourquoi dans la plupart de ses comédies l'intrigue se fonde sur un mariage contrarié par les parents. Gorgibus, dès le début des Précieuses Ridicules, a présenté deux prétendants à Magdelon et Catho ; Orgon choisi Tartuffe pour sa fille ; M. Jourdain, le Bourgeois Gentilhomme, veut trouver un marquis pour la sienne ; « Les Fourberies de Scapin », « L'Avare »... nombre de pièces de Molière montrent donc qu'à l'époque le mariage provenant d'une réaction d'amour était une chose mise à l'écart. Ce qui comptait le plus était le profit, économique ou social (l'honneur), que pouvaient en retirer les parents et plus exactement les pères.

En satirisant le mariage de convenance, Molière veut attaquer le système social qui ne portait aucune attention aux sentiments et aux désirs des jeunes gens. Par ailleurs, dans « Dom Juan », l'auteur met en évidence le problème du contrat de mariage, contrat qui doit être, selon les mœurs du temps, respecté par les deux époux. En effet, la société du XVII e siècle fondait l'amour sur la fidélité, sur l'honneur et sur le respect de ce contrat de mariage. Toutefois la corruption des mœurs était telle que peu de gens respectaient ces règles morales. Ceci est bien explicite dans « Dom Juan »,et, par opposition, Molière exalte dans toutes ses œuvres la fidélité de l'amant à celle qu'il aime et réciproquement

                          La Préciosité

Ainsi, comme nous l'avons dit plus haut, les femmes se manifestent contre l'injustice à laquelle elles sont soumises et contre l' ‘'esclavage'' des femmes. C'est peut-être la première fois dans l'histoire que cela arrive[30].

Nous l'avons vu, en effet, la condition des femmes était presque misérable et les filles qui pouvaient choisir leur vie étaient très rares. Le sort des femmes dépendait de leur mariage, ce qui pouvait provoquer le malheur de beaucoup d'entre elles. Dans nombre de ses œuvres Molière nous parle de ces procédés de mariage forcé : le père veut marier sa fille avec l'homme que lui a choisi pour elle ; Mais la fille en aime un autre et la querelle commence. C'est , même, la trame de ses pièces. Molière à travers toutes ses comédies s'érige en défenseur des femmes soumises aux bon-vouloir des pères ou des maris. Le second point dont s'occupent les précieuses est, nous l'avons dit, le langage.

Dans ses œuvres Molière nous peint donc les habitudes, les idées et généralement la mentalité non pas des vraies précieuses mais de ceux et celles qui les imitent mal. Cathos et Magdelon dans « les Précieuses Ridicules » présentent, en apparence, toutes les caractéristiques des précieuses : revendications féministes face au mariage, langage précieux ; Elles tiennent ‘'ruelles''[31], et porte jugement sur quelques œuvres. Cependant, elles n'ont qu'une idée : se faire valoir et elles le disent haut et clair car elles n'ont pas la capacité d'apercevoir leurs propres défauts les plus visibles. Elles ne s'intéressent qu'aux potins ; Pour elles c'est ce qui les font être précieuses. A travers cette présentation on peut facilement noter certains codes que les pseudo-précieuses se veulent de respecter. Tout d'abord, précieux et précieuses mettaient l'accent sur l'apparence personnelle : maquillage[32], perruque, habit, langage etc. De ce coté, l'utilisation de métaphores, de néologismes qui caractérise la vraie préciosité, de manière abusive caractérise le pédantisme des ‘'singes ‘'[33].

L'effet social que « Les Femmes Savantes » et « Les Précieuses Ridicules », entre autres, ont provoqué était que les femmes (et les hommes) pédantes se sont piquées de bel esprit, mais n'ont pas suffit à les faire disparaître totalement. En approfondissant les prétentions de Molière on constate qu'il ne voulait pas seulement attaquer la préciosité pédante chez les femmes, mais poser surtout le problème de son rôle dans la famille et dans la société à l'égard de son entourage.

 

Conclusion

Ainsi, certains historiens prétendent qu'il n'y a pas de liens entre le mouvement baroque et la préciosité [34] ; D'autres veulent prouver l'origine antique du mouvement précieux en avançant que de tout temps il y eut des précieuses qui étudiaient en secret, et qu' ‘'au temps de Valère'' elles se sont montrées en public [35] (SOMAIZE).

Toutefois, le mouvement précieux ne serait-il pas plutôt un amalgame des deux tendances, baroque et classicisme ? Le désir d'être original dans l'ordre ; ou alors, le désir d'ordonner l'extravagance. La théorie de la différence entre les pointes baroques et celles précieuses sur laquelle s'appuie A. Adam pour démontrer qu'il n'y a pas de liens entre les deux mouvements ne repose que sur le superficiel oubliant l'évolution de la langue amenant les éventuelles différences. Quant à dire, comme Somaize, que la préciosité date de l'antiquité, s'appuyant sur l'idée qu'au XVII e siècle c'est l'apogée de la politesse, ce n'est pas plus soutenable.

Quoi qu'il en soit, dans une étude approfondie des œuvres de Molière on peut découvrir ce vent de révolte féministe qui parcourut un siècle où chacun cherchait à dominer la paix. Au départ, cette révolte pacifique prit une allure honorable, mais sur son chemin, elle rencontra de mauvais ‘'singes'' qu'elle rejeta certes, mais qui gardèrent son nom. Ces imitateurs pédants croyant qu'il suffit d'étaler quelques mauvais potins en les critiquant systématiquement, et en imitant un langage métaphorique pour avoir de l'esprit et être appelés précieux ou précieuses, se sont retrouvés mis à l'écart des ruelles. Ils se sont alors tournés vers ceux qui avaient moins d'esprit (plus nombreux) pour exercer leur ‘'pouvoir'' spirituelle. Ainsi c'est répandu dans la rue et la campagne une branche décadente de la préciosité, un peu comme s‘était répandu, dans toutes les écoles théologiques durant des siècles, une scolastique décadente très vite après la mort de saint Thomas d'Aquin. Et c'est cette pseudo-préciosité, hélas ! qui nous est parvenue par la mauvaise compréhension (ou étude) de Molière, ou la lecture des anti-précieux.

On a aussi, souvent, qualifié la préciosité comme un mouvement de réforme du langage, avec des métaphores incompréhensibles en oubliant ce qui l'a fait naître : la révolte contre la condition inacceptable des femmes ; Révolte qui fut totalement étouffée par Napoléon dans le Code Civil, mais que l'on a vue triompher trois siècles après sa naissance.

Ceci dit, à la différence de la scolastique décadente qui partait seulement des conclusions, sans recherche, de saint Thomas d'Aquin, La singerie de la préciosité é a peut-être été attisée par certains hommes qui ne voulaient point voir leurs privilèges de dominateur sur la gente féminine disparaître. C'était un moyen ingénieux que d'usurper le nom ainsi que les ‘'mimiques'' des précieuses, et de le ridiculiser en exagérant ces dernières.

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BIBLIOGRAPHIE

  • Les textes littéraires généraux de A. Chassang et Ch. Senninger, chapitre V le baroque, et chapitre VI la préciosité, pp.124-149, Paris, Hachette, 1958. 
  • Collection littéraire Lagarde et Michard, le XVIe siècle et le XVIIe siècle, Bordas, Paris, 1985. 
  • Œuvres de Molière: 
  • - Les Précieuses Ridicules,1659; Larousse, «Classiques Larousse»,1942;
  • - Le Misanthrope, 1666; Larousse, «Classiques Larousse», 1970; 
  • - La Critique de l'Ecole des femmes, 1663; Larousse, 1974; 
  • - Dom Juan,1665; Bordas, «Univers des Lettres», 1984; 
  • - Les Fourberies de Scapin,1671;
  • - Le Bourgeois Gentilhomme,1670; Larousse, «Classiques Larousse», 1970;
  • - L'Avare,1668; Larousse, «Classiques Larousse», 1990;
  • - Tartuffe,1669;
  • - Les Femmes Savantes,1672.

 

 

 

Notes

 

[1] . La Grande Mademoiselle est la fille de Gaston duc d'Orléans (1608-1660) lui-même frère de Louis XIII. Il fut l'âme de divers complots contre les cardinaux de Richelieu et de Mazarin. [retour]

[2] . Le 3 avril 1654 le chevalier de Sévigné écrit dans une lettre : « Il y a une nature de filles et de femmes à Paris que l'on nomme Précieuses... » ; Melle de Scudéry date, en 1656, une ordonnance ainsi : « de notre règne le deuxième. » [retour]

[3] . A. ADAM, Baroque et Préciosité dans Revue des Sciences humaines, 1949, fascicule 55-56, pp. 208-210. [retour]

[4] . Encyclopédie, la "Préciosité". Voir aussi La Préciosité. Etude historique et linguistique de R. LATHUILLERE, Genève, 1966. [retour]

[5] . Les maximes sont en fait des règles morales générales auxquelles les précieuses se tiennent. [retour]

[6] . SOMAIZE, le Grand Dictionnaire des Précieuses, 1661, ; article Morale, Maxime X, t. II pp 5-12. [retour]

[7] . Le mot Renaissance voulait signifier deux choses : d'abord que c'était un premier retour à l'Antique, à la source de la civilisation européenne ; et ensuite qu'une « vie nouvelle » commençait. [retour]

[8] . Pour accéder au trône, quatre ans après l ‘assassinat d'Henri III, Henri de Navarre qui était d'origine protestante, dû renier sa religion  désirant la paix pour le peuple de France plus que tout ; Pour cette dernière raison, et pour éviter d'autres massacres semblables à celui de la nuit de la Saint Barthélemy 1572, Henri IV, roi de France et de Navarre, signa en 1598 la paix entre les protestants et les catholiques, paix que Louis XIV, environ un siècle après, révoqua (1685). [retour]

[9] . Mort en 1628; Il est considéré comme le précurseur du "Classicisme" [retour]

[10] . R. MOUSNIER, Les XVIe et XVIIe Siècles, pp. 205-207 ; P.U.F., 1954. [retour]

[11] . Les libertins Régnier et Théophile de Viau, développant la leçon de Montaigne, affirmaient que l'homme n'est pas le roi de l'Univers, qu'il ne peut prétendre au pouvoir absolu, qu'il faut seulement vivre chacun sa loi naturelle intérieure propre. [retour]

[12] . Le jansénisme pensait que la conscience était supérieure à tout jugement d'autorité (c à d au jugement humain qui est sous l'influence des sens ou du raisonnement) car elle serait mue souverainement par Dieu lui-même. [retour]

 [13] . Abbé M. DE PURE, La Précieuse ou le mystère des ruelles, 1656-1658, éd. E. Magne, Droz : t. I, pp.12-13, 60-72, 169-171. [retour]

[14] . SOMAIZE, Le Grand Dictionnaire des Précieuses, 1661, articles Blason, Mariages, Savoir, Silence, Lois et Morale, t. I, p. 233, et t. II, pp. 5-12. [retour]

[15] . R. BRAY, La Préciosité et les Précieux, pp. 393-397 ; Albin Michel, 1948. [retour]

[16] . D'après A. ADAM « la préciosité est essentiellement[...] une position prise devant les problèmes de la vie sentimentale » ;  « Les précieuses sont d'abord des femmes qui se révoltent contre le joug du mariage et contre la lourde discipline que les mœurs continuent d'imposer à la jeune fille », Baroque et Préciosité dans Revue des Sciences humaines, 1949, fascicule 55-56, pp. 208-210. [retour]

[17] . Précisons que le mouvement précieux eut sa gloire à ses débuts, mais qu'il continua sous diverses formes tout au long du XVIIIe siècle dans les salons comme celui de l'Hôtel de Rambouillet, jusqu'au XIXe siècle avec le Parnasse, et même de nos jours on retrouve les revendications essentielles des précieuses sur la liberté de la femme. [retour]

[18] . Les Précieuses Ridicules (1659) fut la première œuvre qui fit connaître Molière. [retour]

[19] . Molière, par la bouche de Magdelon, dans la scène IV, donne une excellente explication aux théories précieuses sur les devoirs de l'amant. En effet, la vie sentimentale est le point essentiel et premier de la préciosité. [retour]

[20] . Les Femmes Savantes, 1672, est l'avant-dernière pièce de Molière. [retour]

[21] ...si ce n'est peut-être sur le fait qu'ils ne sont pas tous du même avis et que ceux qui se piquent ont souvent de futiles arguments pour se justifier. [retour]

[22] . Philinte dans le Misanthrope ; Sganarelle dans Dom Juan ; Cléante dans Tartuffe ... [retour]

[23] . Monsieur Jourdain dans Le Bourgeois Gentilhomme, 1670. [retour]

[24] . Mascarille et Jodelet dans Les Précieuses Ridicules [retour]

[25] . On appelle ainsi les troubles politiques (1648-1653) qui ont eu lieu durant et contre la régence d'Anne d'Autriche, mère de Louis XIV, et le gouvernement de Mazarin. Des Seigneurs (Condé, Gaston d'Orléans) et des Dames furent les âmes et les chefs de nombreux complots contre le gouvernement et le futur roi. [retour]

[26] . Principalement des garçons. En effet, une femme qui ne donnait pas de garçon à son mari était méprisée et rejetée, considérée comme inutile. [retour]

[27] . Dom Juan, acte Ier, scène 2. [retour]

[28] . Id. , acte II, scène 2. [retour]

[29] . Les Précieuses Ridicules, scène IV [retour]

[30]. C'est là une préfiguration de ce que sera l'émancipation de la femme en cette seconde moitié du XX e siècle. [retour]

[31] . Les ruelles étaient des réunions, des salons qui se tenaient entre précieux et précieuses dans les appartements d'une d'entre elles, et où ils parlaient de choses de l'esprit. [retour]

[32] . Cf. Les Précieuses Ridicules, scène 3. [retour]

[33] . Cf. Les Précieuses Ridicules, sc. IX, collection Classiques Larousse, p. 23, note 3 [retour]

[34]. A. ADAM, Baroque et Préciosité, in Revue des sciences humaines, 1949, fascicule 55-56, pp. 218-221 [retour]

 

[35]. SOMAIZE, Le Grand Dictionnaire des Précieuses, 1661, article Antiquité, t. I, pp. 1-7. [retour]

 


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Date de dernière mise à jour : 02/07/2021

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